SAINT LUC DE CRIMÉE - Augustin Sokolovski

Dans la vision du prophète Isaïe, les puissances célestes entourant le trône divin s'écrient : « Saint, Saint, Saint ! » La triple répétition du mot « Saint » symbolise le plus haut degré de louange et de splendeur inhérent au Dieu unique. Nous appelons saints les justes glorifiés par l'Église. La sainteté humaine n'est pas totale, elle est le reflet de la sainteté divine, belle, mais fragmentaire. Il est nécessaire de s'efforcer de la saisir pour la comprendre ; et il faut comprendre la sainteté de chaque saint pour suivre correctement cet exemple.

Un jour, j'ai invité un professeur émérite à la Divine Liturgie. C'était dans la chapelle de l'université, qui n'était pas orthodoxe. Nous n'avions ni chœur ni enfants de chœur, et, comme d'habitude dans la diaspora, très peu de paroissiens étaient venus. Le professeur, qui vivait encore dans les années 1970 et 1980, époque à laquelle les chrétiens occidentaux étaient souvent invités dans les pays socialistes pour assister aux offices orthodoxes solennels, fut très surpris. « J'ai beaucoup aimé », dit-il, « mais cette liturgie est dépourvue de gloire. Et je la voyais pour la première fois. Je ne l'avais jamais vue dans l'orthodoxie. »

Il semble qu'une telle « liturgie sans gloire » a été la vie de saint Luc durant ses dernières années. Il n'exerçait pas du tout la médecine. Il était aveugle. Il célébrait uniquement de mémoire. Il vivait loin des centres politiques et ecclésiastiques de l'époque. Il s'entourait de sa famille et était simplement un vieil homme, très bon et très religieux. Mais, comme le dit la Bible à propos des justes, Luc était très âgé et très faible, et il était « rassasié de jours ».

Ce jour-là, il mourut. C'était en 1961. Trois mois auparavant, Gagarine avait volé dans l'espace. Le jour de la mort de Luc, l'Église célébrait le deuxième dimanche après la Pentecôte, c'est-à-dire la fête de Tous les Saints de Russie. Les anciens chrétiens appelaient les jours de la mort des justes des « anniversaires ». Mais les contemporains et les proches de saint Luc se souvenaient peu de cette tradition. Ils ont probablement pensé : « Regardez, un vieil homme est mort. » Il y avait trop peu de gloire en tout.

Et il s'est avéré, et très vite, car l'État athée n'avait plus que trois décennies à vivre, que dans cette « liturgie sans gloire » dans laquelle se sont transformées les dernières années de la vie de Luc, la présence réelle de la sainteté vivait. Comme la sagesse biblique des livres de Salomon, elle a déjà bâti sa maison (cf. Proverbes 9 :1). C'était ce sourire de Dieu, pleinement, définitivement et irrévocablement révélé en son Fils Jésus-Christ, et qui continue d'apparaître dans l'histoire, encore et encore, dans le peuple juste de Dieu, dans ses saints.

En ces derniers temps tristes et mélancoliques, l'Église, cette Société des Croyants, qui parcourt le pèlerinage de l'histoire sur le chemin de la guérison, remercie Dieu pour sa bénédiction, apparue en saint Luc, et implore l'intercession de ce saint, docteur et confesseur de la foi, dans la Patrie céleste, où il est revenu il y a 64 ans. Là, dans le Royaume du Père, ce Royaume à venir, il est consolé et heureux, il est tout jeune et plein de l’Esprit Saint. Il nous donne sa bénédiction guérisseuse et il nous attend tous.

Dans un conte pour enfants de l'écrivain russe Andreï Platonov, une fleur pousse sur un terrain vague. Un beau jour, des pionniers viennent embellir le lieu. Le terrain vague a disparu ; un banc et de l'asphalte ont fait leur apparition. L'année suivante, ils découvrent que la fleur, celle-là même qu'ils avaient remarquée, un an plus tôt, et qu'ils voulaient aider à leurs travaux, a disparu. Ils cherchent, mais ne la trouvent pas. Et soudain, au loin, ils aperçoivent une autre fleur pousser, pas la même, mais presque la même. « C'est le petit-fils de cette fleur », résume Platonov. Un conte de fées est aussi une parabole, et une parabole est aussi un conte de fées. Il y a une allégorie ici. La fleur, c'est le saint lui-même. L'aménagement paysager, c'est sa gloire ici-bas, après la canonisation par l'Église. Et les petites fleurs nouvelles, c'est nous, les petits-enfants spirituels de saint Luc.